Cames'COP

Grave (avant-première) : quand le sang a un goût de curry

Grave (avant-première) : quand le sang a un goût de curry

Attention! ARTICLE AVEC SPOILERS !

Avant-première en présence de la réalisatrice au Comoedia le mercredi 8 février 2017

Synopsis du film :
Dans la famille de Justine (Garance Marillier) tout le monde est vétérinaire et végétarien. À 16 ans, elle intègre l’école véto où sa sœur ainée Alexia (Ella Rumpf) est également élève. Le bizutage commence pour les premières années. On force Justine à manger de la viande crue. C’est la première fois de sa vie, et Justine découvre sa vraie nature.

Ecrit et réalisé par Julia Decourneau, Grave, film d’épouvante-horreur, sort en salles le 15 mars. Sensuel et sanglant, retour sur un film de genre rafraîchissant comme on n’en avait pas vu depuis longtemps dans le cinéma de chez nous, présenté en avant-première au Comoedia en partenariat avec les Hallucinations Collectives.

L’odeur du sang, le goût de la chair : les influences de Julia Decourneau

Sur fond rouge, le titre s’affiche et prend toute la largeur de l’écran, la musique composée par Jim Williams retentit alors que le générique de fin défile. Julia Decourneau s’avance munie d’un micro pour répondre aux questions du public. On est tous encore un peu sonnés par ce qu’on vient de voir.

Petite perle horrifique unique, véritable vent de fraîcheur et d’originalité, Grave n’est pas exempt d’influences et d’inspirations. Ne serait-ce que le prénom de son héroïne, Justine, référence à l’ingénue corrompue du Marquis de Sade… En effet, le film raconte le désir féminin et la quête de soi d’une jeune fille. Le goût du sang et de la chair n’est presque qu’une métaphore de la découverte des corps – le sien, celui des autres, qu’elle regarde et qu’elle goûte -, alors que Justine se métamorphose en femme. Cette métamorphose, physique et mentale, n’est également pas sans rappeler La Mouche, dans son schéma de descente aux enfers et de perte d’humanité (malgré quelques subtilités que je ne spoilerai pas).

Julia Decourneau confirme cette impression en citant David Cronenberg parmi ses cinéastes préférés, dont elle admire la manière de filmer les corps mutilés et blessés. Quand un spectateur lui demande un top 3 de ses films favoris, elle cite aussi Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper et Suspiria de Dario Argento, l’un faisant partie des fondateurs du slasher movie et l’autre un des piliers du giallo italien. 100% cinéma de genre horreur-fantastique, donc.

Ceci dit, Julia Decourneau revendique tout particulièrement Grave comme un film  protéiforme:

“ Je trouve ça très réducteur de devoir faire rentrer un film dans une case. Pendant la pré-production de Grave, au final ce n’est pas le côté gore et sanglant du scénario qui a été compliqué à faire admettre, mais c’est le fait qu’il y avait de la comédie, du drame, de l’amour… Les producteurs et les distributeurs ne pouvaient pas coller une étiquette sur le film, et c’est vraiment ça qui a posé problème au départ.

XVMb6c9c4b2-e6d9-11e6-949d-97e4c61b01f7

Un film engagé sur la métamorphose et l’inhumain

Sous ses dehors de film de genre body horror matiné de teen movie, Grave est surtout un film qui traite, avec une certaine finesse, de la question de la monstruosité, et de ce qui fait de nous des humains – entre l’empathie et la cruauté. Comme souvent, le constat est que le plus inhumain n’est pas celui qu’on pourrait croire de prime abord

En effet le film ne se prive pas de dénoncer les dérives pratiquées dans les grandes écoles, et de manière plus générale la société qui crée ces élites malsaines.

J’ai cherché les pires exemples de bizutages qui se pratiquaient dans les grandes écoles à travers le monde explique Julia Decourneau, mais j’ai été obligée de retoucher mon scénario et d’adoucir ce que j’ai pu trouver, parce que le cannibalisme ensuite, ça fait flop, ça paraissait ridicule !

Elle-même issue de la Fémis, Julia Decourneau éclate de rire quand un spectateur lui demande si elle a subi du bizutage similaire pendant ses études. Elle rassure en expliquant qu’à la Fémis l’ambiance est plutôt hippie , mais avoue néanmoins que sur une promo de soixante élèves, ils n’étaient que quatre à se revendiquer d’un cinéma alternatif… Un constat assez représentatif du paysage actuel du cinéma français, où la norme règne en maître.

grave

Une tragédie antique moderne

C’est ainsi, selon ses mots, que Julia Decourneau analyse son film.

Inéluctabilité du destin de Justine, malgré son conflit intérieur pour contrôler ses pulsions, issue tragique pour les personnages… Effectivement ça se tient. La musique composée par Jim Williams n’est pas non plus innocente dans ce ressenti lyrique : Julia Decourneau n’a de cesse de louer L’idée de génie d’incorporer de l’orgue à la bande originale. Instrument emphatique et religieux par excellence, l’orgue transporte les personnages de Grave au-delà de leur statut d’humains ; ils deviennent les jouets du destin, d’une sorte de volonté divine maligne et cruelle.

Mais alors que certains s’abandonnent à leur sort, Justine, elle, se bat pour garder son humanité et c’est là toute la force du film, et aussi ce qui fait de sa protagoniste une héroïne de tragédie antique par excellence. Telle Médée qui subit l’adultère et l’abandon de son mari, situation normale et monnaie courante à l’Antiquité, Justine fait face aux pressions sociales contemporaines imposées aux femmes jusque dans leur corps et leur intimité (avec par exemple une scène d’épilation… mémorable, et quelques références à l’anorexie). Être sensuelle sans être pute, être douce sans être gamine… Comme le meurtre de ses enfants l’a été pour Médée, le cannibalisme est pour Justine la manifestation violente de sa rébellion contre la norme.

Le film se clôt sur un plan glaçant, qui nous laisse avec un sentiment d’horreur vertigineuse… et aussi, une certaine forme d’apaisement.

Je tenais vraiment à ce que mon film se termine sur une note un peu positive, quelque chose de libérateur , explique Julia. Le père de Justine lui dit qu’elle peut y arriver, qu’elle peut réussir ; cette réplique est vraiment importante pour moi, c’est quelque chose qu’on ne dit pas assez aux jeunes et qu’on a besoin d’entendre plus.

Drôle, terrifiant, engagé, poétique, sanglant, bizarre, subtil ; à ne pas mettre entre toutes les mains, ça c’est sûr. Grave reviendra hanter les salles de cinéma à partir du 15 mars, et est-ce que c’est un film qu’on vous conseille … ?

… Grave !

julia-ducournau

Alice 28 février 2017 Alice, Critiques

Like this Article? Share it!

About The Author

Leave A Response