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“La liberté, c’est la liberté de celui qui pense autrement’’ : sur les pas de Bérénice Saint-Aignan

“La liberté, c’est la liberté de celui qui pense autrement’’ :  sur les pas de Bérénice Saint-Aignan

Bérénice Saint-Aignan est professeure de danse jazz et contemporaine à Montélimar. Électron libre de la danse, elle crée ses spectacles selon ses propres règles et s’investit en parallèle dans de nombreux projets artistiques – comme le festival de cinéma montilien De l’Ecrit à l’Ecran. Portrait de cette femme petite et discrète, excentrique et libre, qui m’a enseigné la danse pendant près de douze ans.

La liberté dans la création

Dans les rues du centre-ville de Montélimar, on peut parfois apercevoir dans la foule une petite silhouette aux cheveux roux. Elle marche vite, avec la démarche altière d’une coryphée, sur le rythme d’une musique qui trotte dans sa tête ; de temps en temps elle s’arrête devant un poster ou une affiche de film qui l’inspire – puis aussitôt elle repart, suivant le fil de ses pensées, en faisant virevolter son manteau en laine orange et noir.

         | “ Je m’inspire vraiment de la vie pour créer ” affirme Bérénice. “ Pendant la création d’un spectacle il faut être toujours un peu “en éveil”, faire des liens avec la danse et se nourrir du quotidien. ”

Féministe, un peu “utopiste” selon ses mots, Bérénice n’hésite pas à laisser de côté les paillettes et le commercial, pour proposer une danse en lien avec ses convictions.

         | “ Je pense qu’on n’est jamais libre, jamais. Dès que tu fais partie d’un système, d’une société – surtout en tant que femme, tu n’es plus libre. Ta liberté, tu te la crées, dans un genre de “cocon” : pour moi, c’est la création.

En 2014 elle ouvrait en solo le spectacle “Les Genres Littéraires” avec Il n’y a pas d’amour heureux, poème d’Aragon repris par Nina Simone. Ce n’est pas la première fois qu’elle se met elle-même en scène : on se souvient aussi du duo émouvant et poétique de Bérénice avec Mamadou Diabaté, Side by Side, repris pour la quatrième édition du festival De l’Ecrit à l’Ecran, pour ne citer qu’un exemple.

         | “ Sur scène, tu t’oublies, tu es dans le geste, l’interprétation, le mouvement… tu es là. Le “rien” m’habite, ce rien méditatif qui te permet de tout lâcher. Dans la “vraie vie”, je suis plutôt timide, j’ai du mal à parler en public ; la danse c’est vraiment mon moyen d’expression.

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Bérénice et Mamadou Diabaté

À la marge des courants de la danse

Montélimar est une ville qui possède un nombre assez conséquent d’écoles de danse par rapport à sa taille (32 000 habitants) ; mais pour trois écoles et académies de danse classique et une école de danses latines et de salon, Bérénice est la seule à enseigner la danse jazz et contemporaine.

          | “ Pour être professionnelle en classique, il faut en faire beaucoup plus pour avoir le niveau nécessaire. Le choix du contemporain, c’est à la fois une préférence – ça laisse plus de liberté, c’est plus varié, plus créatif… mais c’est aussi mes capacités physiques qui bloquaient.

De par son exigence et son perfectionnisme, Bérénice vit parfois sa liberté de création comme un fardeau : se réinventer, ne pas déçevoir… Malgré tout, elle choisit de rester en marge des courants de la danse, et refuse d’être affiliée à un courant technique.

          | “ Les chorégraphes ne m’influencent pas dans ma danse, même s’il y en a que j’apprécie comme Pina Bausch. Moi j’ai l’habitude de travailler autour d’un thème, que j’explore avec les différents groupes, comme le quotidien [“Petites histoires ordinaires”, en 2008], ou les Révolutions [spectacle de 2011]… ça donne une cohérence, et c’est aussi plus concret pour les élèves que du “à la manière de…” !

Plus jeune elle a donné des cours à Vaulx-en-Velin, et en arrivant à Montélimar elle a enseigné avec Mireille Frank, avant de reprendre l’école à son nom. Évoquer ces souvenirs la fait sourire.

          | “ Ce qui est drôle, c’est que je n’ai jamais voulu être prof de danse. Cela dit je ne le regrette pas : enseigner c’est plus créatif, c’est un travail plus varié, et puis ça permet d’avoir la liberté d’une vie plus “normale”, j’ai pu avoir des enfants assez tôt alors que pour une danseuse professionnelle c’est difficilement envisageable…

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Bérénice, à gauche, dans le quatuor des vingt ans de l’école

Pour faire de sa passion pour la danse son métier, Bérénice est partie de chez ses parents à dix-neuf ans, contre leur avis. Aux jeunes qui se passionneraient pour l’art, elle conseille avant tout d’être “ curieux, toujours curieux, de ne pas trop écouter les autres et de savoir s’écouter soi ”, et dans la danse en particulier de toujours “ pratiquer : danser, danser, danser ! ” malgré la difficulté. Elle est la preuve qu’il est possible de ne pas abandonner ses rêves de liberté…

Le spectacle 2017 de l’école de danse, “J’ai un projet : devenir fou”, aura lieu le samedi 24 juin à l’auditorium Michel Petrucciani de Montélimar. N’y a-t-il pas qu’un pas entre liberté et folie ? “ En art, sûrement ”, nous dirait Bérénice.

citation : Rosa Luxemburg (dans Rosa la Rouge, ballet de la Cie Berenice)
photos : Giuseppina LUCCHESI

Alice 4 janvier 2017 Alice, Portraits, Reportages

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