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Femmes à poils : un acte militant ?

Femmes à poils : un acte militant ?

L’été approche à grands pas, avec dans son sillage son lot de jupes, shorts et maillots de bain. Pour certaines femmes, c’est aussi le moment d’assumer un choix pas si évident : laisser rasoir, cire et épilateur au placard. Si laisser sa pilosité à l’air libre peut paraître un geste anodin, est-ce vraiment le cas ? Ou est-ce, comme le revendiquent certaines par écrit ou par vidéo, un acte féministe, voire carrément militant ?

Le regard des autres

Les statistiques l’affirment : 80% des femmes (et 81% des 18-25 ans) considèrent qu’il est important pour une femme de s’épiler pour être physiquement séduisante. Juliette, 18 ans, lycéenne, confirme cette impression :

J’ai commencé à m’épiler au CM1, à cause des railleries. Aujourd’hui, je sais que mon goût pour l’épilation vient certainement de ma culture, mais je trouve ça simplement plus esthétique sur moi… J’arrive mieux à m’apprécier sans mes poils, ce que je regrette aussi un peu, parce que j’ai peur, maintenant, de ne plus pouvoir m’aimer avec.

Pour les femmes, et en particulier les jeunes filles, il ne s’agit pas seulement d’affronter son propre regard, mais aussi de celui des autres – inconnus, mais aussi amis, familles… voire partenaires. En effet, selon un sondage Ipsos, 57% des hommes entre 15 et 25 ans le prendraient mal si la femme de leur vie décidait d’arrêter de s’épiler. Opinion à sens unique, puisqu’à contrario 70% des femmes entre 15 et 25 ans considèrent la pilosité comme composante de leur idéal masculin. Il est fréquent dans l’argumentaire de nombreuses activistes de lier ce tabou des poils au féminin à l’impact du patriarcat sur notre culture. Et pourtant, la pression ne vient pas toujours de là où on l’attendrait.

Je suis sortie pendant plus d’un an avec une maniaque des poils ”, explique Juliette. “ Par soumission, je me suis épilée à l’extrême pendant toute cette période, ce qui m’a même menée à des problèmes médicaux ! Et je sais maintenant que je n’avais évidemment aucun plaisir à faire cela, mais que je ne répondais qu’aux critères imposés par ma partenaire.

Cassandra, 20 ans, étudiante en art, raconte ses années collège et sa prise de conscience :

À l’époque mes poils me complexaient beaucoup, j’en avais honte. À chaque fois qu’on sort dans la rue, qu’on allume la télé, qu’on regarde un film ou qu’on lit un magazine, les modèles féminins qu’on voit n’ont jamais un poil qui dépasse. Un jour j’ai compris que mes poils ne m’avaient rien fait de mal : c’est la pression sociale que les femmes subissent tous les jours, qui me poussait à me raser semaine après semaine, malgré la douleur, les boutons et les irritations – notamment aux aisselles car j’y ai la peau très sensible. Et le plus dur a été d’admettre que les remarques insidieuses qui me blessaient le plus, ne venaient pas des abrutis de la classe, mais de ma mère et de mes amies.

Ainsi, honte, critères, railleries et soumission seraient des mots-clefs dans notre rapport à l’épilation… On oublie aussi, souvent, que les femmes peuvent être leurs plus féroces bourreaux. Le choix de refuser de s’épiler serait donc le choix, d’une part, de résister à la pression sociale – imposée autant par notre culture que par notre entourage proche –, que d’autre part, d’affirmer une forme de féminité alternative, et de s’assumer au naturel.

Une démarche féministe

Cynthia, 23 ans, étudiante en cinéma, revient sur l’impact que les idéaux de beauté ont sur les femmes – y compris par l’intermédiaire de la culture.

En fait ce qui est terrible c’est que dans toutes les activités, on doit être sexualisé. Je repense à la scène d’inspection des aisselles dans La Naissance des Pieuvres de Céline Sciamma, qui m’a beaucoup marquée. Une femme doit être bandante, et bandante, ça veut dire sans poils.

Cassandra est catégorique : pour elle, la non-épilation est une démarche profondément militante.

Pour moi c’est une évidence que ne pas s’épiler est un acte lourd de sens dans notre société actuelle, parce qu’il remet en cause toute une vision implicite et extrêmement sexiste de ce que doivent être une femme et un homme. Les poils arrivent à la puberté, quand une fille devient femme. L’absence de poils renvoient à l’enfance, à cet idéal d’une femme toujours jeune… et toujours soumise. Ça paraît exagéré de dire ça, mais c’est juste tellement ancré dans notre socialisation qu’on n’y fait plus gaffe. Et c’est bien là le danger, et ce contre moi et d’autres femmes tentons de lutter.

Ainsi, le rejet de la pilosité féminine serait un facteur de misogynie – et donc assumer ses poils serait un acte de féminisme au niveau de la lutte pour l’égalité salariale, le combat contre le manspreading… Cynthia est plus nuancée, et ramène la démarche de non-épilation à une échelle plus individuelle et moins sociétale :

Je pense que c’est militant au sens que c’est pas anodin, et hors norme. C’est féministe parce que ça permet de dire  »moi en tant que femme je peux me permettre d’avoir des poils », sans que ça vienne d’une pression extérieure. Sinon, moi je ne me considère pas comme militante, parce que je me suis habituée à mes poils. Quand on me pose des questions, j’explique ma démarche, j’essaie d’être pédagogue et de demander aux filles :  »Pourquoi pas ? » plutôt que leur dire que s’épiler c’est mal. L’essentiel c’est surtout d’être bien dans sa peau…

L’essentiel d’être bien dans sa peau, une donnée fondamentale dans cette démarche, sur laquelle revient Juliette :

“ Je pense que ne pas s’épiler peut être un acte militant si on décide que ça l’est. Certaines femmes ne le feront que parce qu’elles ne le supportent pas, d’autres parce qu’elles le vivent comme une cause. Dans l’idée, je pense que la non-épilation peut être un acte de féminisme, qui montre que les femmes peuvent utiliser leur corps comme elles l’entendent ! Néanmoins je pense qu’au delà de la cause il est important de faire ce choix pour soi avant tout. ”

dans La Naissance des Pieuvres, les filles (entre 12 et 16 ans) de l’équipe de natation synchronisée doivent avoir les aisselles irréprochables, au risque d’être humiliées devant les autres

Un combat pour l’acceptation de soi

Cassandra déplore la difficulté que les femmes ont aujourd’hui à faire ce choix, d’apparence simple, de rejeter l’épilation ; malgré tout, elle garde espoir dans l’avenir – notamment avec l’influence des réseaux sociaux.

“ Les premières fois que les jeunes filles prennent un rasoir ou une bande de cire en main, c’est au fond plus par obéissance aux codes que par choix ou par envie. Mais cette démarche peut aussi devenir consciente et réfléchie. C’est le choix que j’ai fait : l’épilation nuisait à ma santé et ne me rendait pas plus heureuse, j’ai donc décidé d’arrêter. C’est encore difficile parfois de regarder mes jambes velues, mais je m’y fait petit à petit ! Et je suis fière de constater, à travers les réseaux sociaux, que les mentalités évoluent et que de plus en plus de femmes osent libérer leurs poils et, surtout, en parler ! ”

En 2016, Adèle Labo, lycéenne belge de 16 ans, lançait sur Twitter le hashtag #LesPrincessesOntDesPoils, incitant de nombreuses femmes à la suivre dans son initiative de poster des photos de sa pilosité au naturel. L’objectif : montrer qu’on peut aimer son corps tel qu’il est… Tout comme on peut se préférer lisse et glabre comme une joue de bébé. Le hashtag a suscité bon nombres de réactions négatives, mais a aussi permis de libérer la parole sur ce sujet qui demeure plutôt tabou, en montrant à des jeunes femmes en hésitation qu’elles n’étaient pas seules. Des Youtubeuses comme SolangeTeParle n’hésitent pas non plus à aborder frontalement le sujet, la conclusion étant qu’il faut s’accepter soi-même. Un parcours du combattant difficile à accomplir à l’ère des complexes (de taille, de poids, de seins, de cheveux, de poils…) de toutes sortes, mais qui est nécessaire pour retrouver confiance en soi.

“ Je pense qu’après ce que j’ai vécu, j’ai réussi à me détacher du regard des autres par rapport aux poils ”, dit Juliette. “ Je m’épile pour moi, pour mon rapport à mon propre corps, et non pas pour l’image renvoyée aux autres. Avec ou sans poil, une femme, c’est beau ! Chacun fait ce qu’il veut de son corps, je préfère voir une femme bien dans sa peau, même si elle n’est pas épilée !

J’ai commencé à vraiment assumer il y a deux ans : j’ai rencontré des potes féministes qui assumaient totalement, et je me suis dit puisqu’elles le font, je peux je le faire ! ”, explique Cynthia. “ Aujourd’hui, je ne suis plus influencée par le regard des autres, en tout cas j’essaye de ne pas l’être. Si moi je trouve ça moche, je l’enlève, sinon, je m’en fous. C’est tout !

Le refus de l’épilation est un combat qui peut sembler futile, mais c’est nécessaire pour une femme de réapprendre qu’on peut, contrairement à l’adage, être belle sans souffrir ”, conclut Cassandra. “ Qu’on peut être belle selon ses propres standards, en fait, de réapprendre qu’on a le choix. Le choix de pouvoir s’aimer soi-même, et de choisir comment on veut être avec son corps, pour être heureuse et en bonne santé dedans.

Au final, ce que revendiquent surtout ces femmes militantes, c’est le droit à se réapproprier leur corps et leur image. Avec l’essor sur les réseaux sociaux des mouvements body positives, des personnalités qui, à l’image de Miley Cyrus, affirment leurs positions pour une liberté des poils, il semble que, petit à petit, nous nous rapprochons de cet idéal décrit par Juliette :

Ne jamais laisser les autres décider pour nous. Notre corps est ce que l’on veut en faire ! Une femme ne trouve pas son charme, sa beauté ou sa singularité dans une épilation particulière, et ceux qui n’ont pas compris ça sont à rayer de la liste!

Poilues ou non, mesdemoiselles et mesdames, profitez des plages et du soleil pour l’été à venir ! Et surtout, soyez vous-mêmes.

A.DR

Sources
IPSOS : Enquête sur les Français et l’épilation : opinions, attitudes et comportements
Témoignages recueillis par la journaliste
Alice 21 juin 2017 Reportages

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