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Un Poyo Rojo (spectacle) : romance dans les vestiaires

Un Poyo Rojo (spectacle) : romance dans les vestiaires
sortie culturelle du jeudi 19 janvier 2017

Nous entrons dans la salle du Toboggan, à Décines. La scène est plongée dans la pénombre, mais on peut déjà distinguer le décor : un banc, des casiers de vestiaire sportif… et, aussi, deux danseurs qui s’échauffent et s’étirent, devant le public. On est déjà un peu confus, étonnés : et pourtant, dans à peine quelques minutes commenceront les premiers éclats de rire.

La pièce que nous nous apprêtons à voir est Un Poyo Rojo, créée par Nicolás Poggi, Luciano Rosso et Hermes Gaido, interprétée par Alfonso Barón et Luciano Rosso. L’histoire : dans un vestiaire, deux hommes ; ils se jaugent, se télescopent, se défient… puis s’unissent.

Retour sur une pièce attendrissante, drôle et décomplexée.

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Un ballet romantique moderne

Dans sa composition en tant que ballet, Un Poyo Rojo est un jeu de séduction en duo tout à fait classique. Les deux personnages d’abord distants sont de plus en plus proches, de plus en plus intimes. À la manière d’Odette et Siegfried, ils s’ignorent, se regardent, se défient, s’aimantent, puis enfin ils s’aiment… hormis le fait que cette rencontre amoureuse se situe dans un vestiaire de gymnase de quartier et non au bord d’un lac brumeux et lamartinien, on s’y retrouve. Ce n’est donc pas dans l’histoire qu’il raconte que Un Poyo Rojo se distingue. L’originalité de la pièce va plutôt se trouver dans son ton, irrévérencieux – qu’on devine dès son prologue.

En effet, après l’échauffement, les danseurs se lèvent et viennent sur le devant de la scène, debouts, côte à côte, immobiles. La lumière se lève. Ils ne bougent pas. Dans la salle, on attend patiemment. Ils ne bougent pas. On commence à échanger des regards. Ils ne bougent toujours pas. Quelqu’un, dans le doute, commence à applaudir, suivi par d’autres. Ils ne bougent toujours pas. Enfin, après encore un long temps, commence un duo, dans le silence, à l’écoute. Puis, enfin, le spectacle commence réellement.

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Grotesque perfection

Cette étonnante introduction pose d’emblée le ton décalé qui nous tiendra en haleine. L’humour grotesque, bourré d’autodérision, dont font preuve les deux danseurs est brillamment contrebalancé par la perfection technique de la danse : contemporain, classique, hip hop, salsa, mime, acrobatie… tout y passe, et les deux artistes ne cessent d’épater le public, avec une maîtrise de leur corps sans faille. Sans paroles, uniquement par le geste (hormis une inattendue reprise de Someone Like You), ils émeuvent et font rire, et parviennent à donner du sens aux mouvements et à la technicité de la chorégraphie

Dans Un Poyo Rojo la part belle est également laissée à l’improvisation. Sur scène, un poste de radio qui diffuse en direct : l’un des danseurs cherche la station qui provoque les réactions les plus intéressantes dans le public, tandis que l’autre s’imprègne de l’ambiance pour improviser. Ces zapping, intermèdes entre les passages dansés, sont hilarants et créatifs. Pour notre part, en pleine période des primaires de gauche, nous avons eu droit à une interview de Benoît Hamon sur le revenu universel, mais aussi à une émission Arte sur la masturbation et à de la pop sirupeuse anglaise, entre autres. Sans oublier le numéro des cigarettes !

 

Un Poyo Rojo

Un succès à nuancer ?

Un Poyo Rojo a tout d’une réussite. Modernisation efficace et originale du ballet romantique, humour maîtrisé, technique irréprochable, succès partout dans le monde. Et pourtant, entre deux fous rire, je n’ai pu m’empêcher de m’interroger. Au-delà de l’aspect un peu caricatural des deux personnages, qui adoptent des postures très ‘’gays’’ pour faire rire, il règne parfois un arrière-goût de culture du viol, perceptible derrière l’humour. Pendant tout le spectacle, c’est le Coq Rouge éponyme qui va constamment draguer l’autre, de manière de plus en plus lourde : on passe de postures lascives et suggestives avec regards appuyés, à des agressions sexuelles pures et simples, le second personnage n’étant qu’assez vaguement consentant. Mais la mise en scène est drôle, les réactions sont comiques, et à la fin ils s’embrassent, donc ce n’est pas grave… La même mise en scène avec un homme et une femme, avec un arrêt de bus pour décor, aurait-elle été aussi facilement acceptée ?

À la fin du spectacle, après les applaudissements, les danseurs viennent préciser : “ La radio était bien en direct… et nous ne sommes pas en couple ! ”. Une précision apparemment nécessaire, et c’est dommage. Un Poyo Rojo est un excellent spectacle, et dans le contexte actuel ça peut faire du bien de pouvoir rire de sujets comme l’homosexualité, de dédramatiser. Plein de questions ont été soulevées dans mon esprit, malgré ce ton léger et décalé – peut-être est-ce d’ailleurs une intention des créateurs de la pièce, faire rire et réfléchir ? À méditer.

Alice D.R
Crédits photos : Paola Evelina (site du Théâtre du Rond-Point)
Alice 22 février 2017 Alice, Sorties

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